Tous appelés ?

Par Monseigneur Raymond BOUCHEX, Archevêque d'Avignon

Le prochain mois des vocations est placé sous la lumière du Père, que nous sommes invités à connaître, à aimer, à prier tout au long de l'année 1999. Cette insistance sur le Père doit nous permettre de renouveler notre compréhension de la vocation chrétienne, spécialement de la vocation des diacres, des prêtres, des religieux, des laïcs consacrés, à laquelle nous pensons durant ce mois. La vocation, avant d'être un appel à une fonction ou à une responsabilité, est l'appel à entrer dans une relation d'amour avec le Christ, et par lui avec le Père.

La vocation dans ce qu'elle a de plus fondamental m'apparaît de plus en plus comme l'appel à se laisser aimer par le Christ et à travers lui par le Père. " Comme mon Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés " (Jn 15, 9). La vocation pour Jésus a été de se laisser aimer et conduire par le Père. La vocation est un acte d'amour du Père. Elle réside dans cette expérience de foi: par le Christ, le Père m'a aimé et m'aime toujours. Je suis appelé à découvrir toujours plus cet amour. Etre appelé, c'est être aimé.

En même temps, la vocation est l'appel à aimer le Christ, et à travers lui, le Père.

" Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci? ... Oui, Seigneur, je t'aime, tu le sais... Sois le berger de mes agneaux ". Ce dialogue est répété trois fois, pour montrer l'importance fondamentale de ce qui est en jeu dans l'appel à être le berger des agneaux du Christ. Et notons bien ce que dit Jésus - "M'aimes-tu plus que ceux-ci? ". La vocation est l'appel à se laisser aimer, et elle est l'appel à répondre par l'amour, affirmé humblement, sans forfanterie, dans la conscience de sa pauvreté. " Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t'aime " (Jn 21, 15-17).

Il en a été ainsi pour le Christ: il a répondu à l'amour du Père par son amour devenant obéissance. " Il faut que le monde sache que j’aime mon Père, et que je fais tout ce que mon Père m'a commandé " (Jn 14, 31). En me laissant aimer par le Père, je suis appelé à l'aimer en faisant mienne l'obéissance du Fils. Je peux répondre à l'appel d'aimer le Père, parce qu'en m'aimant le Père m'a donné son amour. " L'amour a été répandu dans. nos coeurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné " (Rm 5, 5). C'est vrai de tous les baptisés confirmés. C'est vrai d'une manière particulière, -"plus que ceux-ci " (Jn 21, 15)-, de ceux qui reçoivent l'Esprit Saint dans l'ordination.

Etre aimé par le Père et l'aimer fait naître le désir d'être totalement avec lui. La vocation est aussi l'appel à aller toujours plus vers le Père. Tel a été le sommet de la vocation du Christ. " Sachant que l'heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père... " (Jn 13, 1). Que de fois Jésus, dans ses paroles avant de mourir, dit d'une façon ou d'une autre qu'il va vers le Père, qu'il s'en va vers le Père, qu'il part nous préparer une place, que là où il va il désire que ses disciples aillent aussi ! En écho, Saint Ignace d'Antioche disait qu'il entendait en lui l’Esprit murmurer- " Viens vers le Père ".

Si je n'entends pas l'appel à aller toujours plus vers le Père, ma vocation s'arrête en chemin, donc dépérit. La vocation est un élan continuel vers le Père qui m'attend avec amour et joie, et qui veut m'introduire totalement et définitivement dans son intimité. " La vie éternelle, c'est de te connaître (te savoir et t'aimer), toi, le seul Dieu, le vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ " (Jn 17, 3).

Alors la vocation est l'appel à vivre la mission à la place qui est la mienne dans l'Eglise. L'appel à découvrir que je suis aimé par le Père et à me laisser aimer par lui, l'appel à l'aimer et à aller vers lui, deviennent l'appel à la mission de révéler et de proposer le Christ et en lui le visage du Père. Car "celui qui m'a vu a vu le Père " (Jn 14, 9). L'ordre qui m'est donné par le Christ d'être missionnaire ne fait qu'expliciter ce qui est inséparable de l'appel. La révélation et la proposition du visage du Père se font par la vie, non pas forcément parfaite, mais habitée de plus en plus par l'amour du Père et par l'amour pour le Père, par les formes diverses de l'annonce de ce double amour, par les rencontres des personnes et des groupes, par la préparation et la célébration des sacrements qui sont les gestes d'amour du Père par le Christ dans l'Esprit Saint, par la prière qui n'est pas un supplément à la mission, mais qui est un acte de la mission.

Finalement la vocation, dans son mystère le plus profond, est l'appel à se situer devant le Père en lui disant la prière que Jésus nous a apprise. Par cette prière nous exprimons, et l'amour du Père pour nous, et notre amour pour lui, et notre marche vers lui, et notre désir de conduire les autres à lui. Quelle grande vocation que d'oser et pouvoir dire avec le Fils et en lui: " Notre Père qui es aux cieux... " ! Conduire ceux qui nous sont confiés à connaître et à aimer le Père par le Fils dans l'Esprit Saint, de façon à ce que de plus en plus l'humanité puisse dire: " Notre Père "- telle est la mission qui nous est confiée à notre place dans l'Eglise.

A cause de tout ce qui vient d'être dit, le sacrement de la Pénitence et de la Réconciliation est un chemin indispensable pour découvrir et vivre notre vocation, et pour aider les autres à découvrir la leur. Sans ce sacrement, qui à la fois nous révèle que nous sommes pécheurs et que le Père nous réconcilie avec lui, nous ne pouvons pas entendre le Père nous appeler en nous disant : " je t'aime, toi, personnellement, laisse-moi t'aimer, aime-moi, viens à moi ". La crise des vocations est liée pour une bonne part à la crise du sacrement de la Réconciliation et de la Pénitence.

La vocation ne peut que se dévitaliser, se scléroser, se fonctionnariser, se vider de sa joie, si disparaissent de notre vie et la conscience du péché et le pardon donné dans le sacrement. La pastorale des vocations doit comporter comme un de ses éléments essentiels ces deux questions : quelle est la place dans ma vie du sacrement de la Pénitence et de la Réconciliation ? Est-ce que je propose à des jeunes ce sacrement ? Il s'agit bien entendu du sacrement reçu personnellement. Seule ma rencontre personnelle avec le prêtre me permet d'entendre le Père me dire qu'il m'aime, moi personnellement, et qu'il m'appelle à l'aimer, moi personnellement en même temps qu'à témoigner de cet amour, moi personnellement.

La vocation est une réalité mystique au beau sens du mot. Cela veut dire : elle est l'appel à recevoir, à vivre, à servir le Mystère de l'amour du Père pour moi, de mon amour pour lui, de sa joie de m'attendre et de m'accueillir dans son intimité. Seule la vocation avec sa dimension mystique peut toucher et dynamiser des jeunes aujourd'hui. Il se peut que l'échec, l'amertume, la perte de confiance en sa vocation rende tel d'entre nous incapable d'appeler des jeunes ou des moins jeunes à s'engager sur le chemin qui est le sien ?.

Le Père nous propose justement cette année de nous réconcilier avec notre vocation en lui offrant ce poids qui nous écrase, en entendant de nouveau son appel à découvrir son amour et à nous laisser aimer par lui, en lui disant humblement, comme Pierre: " Tu sais tout, tu sais que je t'aime ", en lui disant notre désir de l'aimer et d'aller à lui. Il nous donnera alors de réentendre son appel et le goût d'appeler.

+ R. BOUCHEX