n° 203 Eté 1998 |
Un article : QUAND LES ESCLAVES RACHETÉS TRAVERSAIENT AVIGNON (à propos du 8° centenaire de l'Ordre des Trinitaires) par M.H. | ||||
I En 1985, les Soeurs trinitaires de l'institution Champfleury, sur notre paroisse, célébraient le troisième centenaire de leur fondation à Valence: Cette année, c'est tout l'Ordre des trinitaires qui commémore l'accueil à Rome début 1198 de saint Jean de Matha par Innocent III et son approbation par le pape.
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II La vocation première de cet Ordre était le rachat des captifs libérés des musulmans, souvent des pirates barbaresques, alors que ses religieux se consacrent surtout aujourd'hui à l'apostolat des prisons et des hôpitaux (malades du sida à l'hôpital Edouard Rist à Paris, par exemple). Il m'a paru intéressant d'évoquer la persistance de l'activité initiale - nous apprenons d'ailleurs que la dernière rédemption générale pour la France eut lieu en 1787 -, et l'impression quelle pouvait produire sur un Avignonnais du milieu du XVIII° siècle.
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III Cela grâce au journal que tint à partir de 1753, heure par heure, le chanoine Jean-Baptiste Franque, fils et frère des célèbres architectes, journal conservé à la bibliothèque municipale (médiathèque Ceccano). Ses journées commençaient à 6 heures pour être présent à l'office de Saint-Agricol à 7 heures. Voici ce qu'il écrit le 29 novembre 1758 : " [ ... ] A 4 h 3/4, à la Trinité (soit la chapelle primitive de l'ancien hôpital Sainte-Marthe, à droite après avoir franchi le portail percé dans le rempart) pour voir les 50 esclaves qui sont arrivés cet après-midi (entendons : le repas de midi) sur les 2 heures. On a tiré quelques boîtes (pièces d'artifice) à leur arrivée, et tout de suite le pardon de 40 heures commence dans l'église de la Trinité. A 5 h 1/4, ils se sont mis à table - J'ai aidé à les servir - les suisses étaient à la porte. On leur a donné d'abord une écuelle de soupe de riz, ensuite un bon morceau d'omelette et quelques sardines ou un morceau de poisson, ensuite une livre presque de châtaignes, du bon pain et du bon vin. 5 ou 6 de ces esclaves, apparemment des capitaines ou les principaux, ont mangé à une table ronde dans une autre salle et les autres en table longue. Il est venu avec eux une douzaine de trinitaires pour les conduire soit de Saint-Rémy ou de Tarascon, avec les deux " rédemptans ". A 6 heures, fini de souper ; on a fait tirer ensuite quelques douzaines de fusées. A 6 h 1/4, chez moi. Complies à 8 h. Collation à 9 h, matines (sic), laudes. Aujourd'hui temps couvert, ce soir pluie. Les esclaves couchent un peu partout dans les auberges. Ils vont à Paris se présenter devant le Roi. Ils sont venus aujourd'hui de Tarascon où ils firent hier la procession. |
IV Le 30 (soit un jeudi), à 6, lever. A 8 h 1/2 à Saint-Agricol ; à 9 h 1/2, grand messe ; à 10 h 1/2 à Sainte-Catherine (couvent de cisterciennes dans la rue du même nom derrière le palais des Papes), ma messe. A 11 h 1/4, J'ai été à l'hôpital étant vis-à-vis des pénitents bleus (leur chapelle était rue des Infirmières, près des Carmes ; Avignon comprenait alors sept confréries de pénitents) ; la procession des esclaves a commencé de passer. Il y avait à la tête, les trompettes, violons et timbales, venaient ensuite les pénitents blancs ; après eux venaient les esclaves au nombre de 50. Il y avait des enfants habillés en anges, des vierges, des Turcs, etc., avec une châîne d'argent que chaque esclave tenait d'un bout. Les trinitaires au nombre d'une quinzaine venaient ensuite, les deux " rédemptans " étaient avant les trinitaires. Le ministre, le P. Pascalis, terminait la procession. Il y avait un monde infini , nonobstant la grande boue qu'il y avait : j'ai été à l'hôpital voir des malades à midi ½. J'ai retourné à la maison avec ma nièce..., où elle y a dîné à 1 heure. (Offices du soir habituels)... Aujourd'hui temps couvert tout le jour, le soir sur les 5, pluie. Je crois que la procession des esclaves s'est retirée sur les 4 heures.
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V Sur les 52 rachats d'esclaves réalisés dans la France des XVIle-XVIlle siècles, l'on sait que 47 libérèrent 2 323 captifs, mais les chroniqueurs de l'Ordre donnent pour la chrétienté des chiffres différents, qui évoluent de 46 à 90 000. |