I
Si vous nous présentiez votre pays ou région respectifs ?
Elia Rose prend la parole. Sa terre c'est le Con.go Brazzaville, dont
l'independance remonte a 1960. Au coeur de l'Afrique, il compte deux capItales :
Brazzaville, la «politique», Pointe Noire «l'économique». Plus de deux millions et
demi d'habItants y parlent essentIellement le français, mais aussl le lingala et le
munukutuba, ainsi que de multiples «patois». Ses richesses ? Le pétrole et Ia mer !
Le pays de Ludovic jouxte le sien, juste séparé par un fleuve, que de
ce côté on appelle Zaïre, tandis que de l'autre on l'appelle Congo ! Ancienne colonie
belge, la République Démocratique du Congo est le plus grand pays d'Afrique et compte
quarante neuf millions d 'habitants. Ses richesses minières sont immenses (or, diamant,
cobalt, cuivre, manganèse...) et suscite beaucoup de convoitises. Les congolais
eux-mêmes n'en profitent pas vraiment.
Celui de Soeur Marie-Evelyne est une île, séparée de l'Afrique par le
canal du Mozambique : c'est Madagascar, qui compte six provinces et pas moins de dix-huit
ethnies pour seize millions d'habitants. La faune et la flore y sont très riches, et
comme ressources on peut citer le riz, le café, l'or, les pierres précieuses, dont le
saphir, découvert récemment. Les habitants les plus âgés parlent bien le français,
ainsi que les tous jeunes gens de moins de dix-neuf ans, car pendant une longue période
on ne l'a plus appris à l'école.
Sreur Marta-Nelly parle (arnvée il y a moins d'un an elle a gardé son
charmant accent et se débrouille déjà très bien) avec beaucoup de poésie de son pays,
la Colombie. «Mon pays, c'est ce que je fais pour lul. Si je chante, mon pays chante
aussi, si je pleure, mon pays pleure aussi». Dans cette terre de violence et de pauvreté
située au nord de l'Amérique du Sud, on ne se laisse pourtant jamais aller au drame, on
sourit devant les épreuves. 2ème producteur mondial de café, on y trouve aussi du
pétrole, et de belles orchidées. Quant aux jus de fruits qu' on boit abondamment, on les
presse directement, tout juste cueillis de l'arbre.
On parle beaucoup du pays de Soeur Marie-Josèphe en ce moment : la
Corée du Sud, où se déroule la coupe du monde de football. Il reste très marqué,
dit-elle, par Confucius qui contrairement à ce qu'on croit souvent a donné naissance non
à une religion, mais à une philosophie, basée sur le respect et la politesse à
l'égard des autres. On honore beaucoup les ancêtres. Colonisé par les Japonais pendant
trente-trois ans, il l'est aujourd'hui économiquement par les Etats-Unis, d'où un usage
répandu de l'anglais. Ils sont très forts en informatique.
Quant à Sreur Angélique, elle nous vient d'Alsace, région très riche
autant par sa situation géographique que par son passé (depuis le Concordat, les
prêtres touchent un salaire...) et sa culture. C'est là que se trouve Strasbourg, la
capitale européenne. On y parle obligatoirement, en plus du français, l'alsacien ou
l'allemand, qu' on apprend dès la maternelle ; lorsqu'on postule pour un emploi, il faut
justifier l'usage de l'un ou de l'autre. On ne peut pas rester indifférent devant les
jolies maisons à colombages, et les fêtes villageoises y sont très gaies.
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II
Quelque chose vous a-t-il étonnée particulièrement en
arrivant icl ?
«La neige !» C'est le cri du coeur de Soeur Marta Nelly. Pourtant elle
ne craint pas le froid: «il y a le chauffage...». L'été en revanche est plus difficile
a supporter, la chaleur n'est pas du tout la même qu'en Colombie. Pour ce qui concerne la
nourriture, certes les aliments sont différents, mais elle s'est bien adaptée. «Elle
aime la soupe !» s'écrient ses soeurs. Et oui, làs-bas on en mange tous les jours, midi
et soir.
Lorsqu'elle est arrivée à Lyon il y a deux ans, Soeur Marie-Evelyne,
n'en est pas revenue de l'ordre qui y règne, ainsi qu'à Avignon d'ailleurs : on respecte
les feux de cIfculatlon ! Par contre la messe... C'est plus froid qu'à Madagascar, et
tellement plus court ! Là-bas elle dure deux heures, en temps ordinaire, et quatre heures
les jours de fête ! Elle trouve un peu triste que souvent on ne connaisse même pas ses
voisins. Peut-être y a-t-il plus d'individualisme ? En revanche les cimetières, ça
c'est vraiment bien : «au moins les gens sont tous ensemble. Chez nous on les enterre
tout seuls, chez eux.»
Soeur Marie-Josèphe, elle, est habituée à l'individualisme,
caractéristique des pays occidentalisés, ce qui est le cas de la Corée. A Paris elle ne
s'est pas sentie dépaysée, «des gens y sont aussi stressés que là-bas !» En revanche
elle a été étonnée par le comportement des enfants : chez elle ils demandent, ils se
retiennent. Ici on parle beaucoup, on explique (trop ?), mais c'est positif.
Bien que d'origine italienne, Soeur Angélique, était habituée à une
certaine réserve, de la part des Alsaciens. Elle a été séduite ici par le soleil, la
chaleur, l'accent chantant, la simplicité et la spontanéité de la population qui vit
beaucoup dehors. Elle goûte moins le mistral...
Arrivée en Août 2000, la vie de couvent a vraiment surpris Ella Rose.
Ainsi que le silence, à la messe. Elle est habituée à plus de dynamisme. Le climat,
l'hiver notamment, l'a beaucoup énervée. «Ah non, je ne peux pas !». Devoir s
'habiller tellement, elle qui aime ses tenues si jolies il est vrai, mais un tantinet
légères pour un tel froid... Elle s'est adaptée finalement au déroulement des repas,
très hiérarchisés : au Congo-Brazzaville, on mélange tout.
Ludovic, pour ainsi dire, vient d'arriver. Aussi quel choc, lorsqu'elle
vit s'embrasser, sans pudeur, les couples dans la rue ! Chez elle, ce sont des choses
intimes, reservées strictement à l'intérieur... Elle trouve un peu paradoxale la
présence... des crottes de chiens dans un pays par ailleurs tellement propre. Au
Congo-Zaire c'est un problème qui n'existe pas : tout n'est pas goudronné, de nombreux
chemins de terre permettent aux animaux de nettoyer eux-mêmes. Intéressant, n'est-ce
pas, de re-découvrir son pays à travers des regards étrangers ? |
III
Pourriez-vous nous parler de votre vocation, et de ce qu'est
la vie d'une Trinitaire ?
«C'est un grand coquim» dit malicieusement Soeur Marie-Josèphe, à
propos de Dieu. Et en effet, pour chacune, le cheminement a pris parfois de bien étranges
voies.
En Corée par exemple on est généralement bouddhiste ; la démarche vers le catholicisme
a été différente des autres pays, ceux qui recevaient la visite de prêtres ou de
religieuses. Ici, ce sont les échanges avec la Chine qui ont permis aux habitants de
connaître cette religion, et ce sont eux-mêmes qui ont été demandeurs. Sa maman donc,
petite, était bouddhiste, ses grands-parents avaient même fait construire un temple pour
des moines. Jeune fille, à l'occasion de ses études, elle s'est faite baptiser. Elle
aurait même bien voulu devenir religieuse. Mais ses parents n'ont jamais voulu. Elle
s'est donc mariée, a eu des enfants, Marie-Josèphe entre autres, dont le prénom coréen
contient les mots sainteté et pureté (!). Elle a donc grandi dans cette foi transmise
par sa mère. Dès le jardin d'enfants, elle a su qu'elle serait religieuse. Mais arrivée
à l'âge adulte, elle se sentait minable, avait peur de ne pas être à la hauteur. Une
de ses amies est devenue Trinitaire. La formation ne pouvant s'effectuer en Corée, elle a
dû partir, et la communauté s'est trouvée démunie. «Tu ne voudrais pas venir nous
aider ?». Petit à petit elle y a passé de plus en plus de temps. Et un jour elle a
franchi le pas. Etre Trinitaire, à ses yeux, c'est la communion des personnes, c'est
aimer, offrir.
Soeur Angélique, est presque religieuse depuis toujours. Sa grand-mère,
qui l'a élevée, la prenait sur ses genoux et lui chantait des chansons. Elle avait une
très belle voix. Elle se souvient particulièrement de celle qui était dédiée à la
Vierge Marie. C'est le jour de sa première communion, à neuf ans, qu'elle a dit OUI à
Jésus. Son directeur spirituel la connaît depuis qu'elle est toute petite. Aujourd'hui
c'est un grand bonheur pour elle de faire chanter les paroissiens de Saint- Ruf. «C'est
comme si j'adressais une prière à Dieu, et je me sens soutenue par eux, pour qui je
prie». Elle apprécie leur foi, les visages souriants... Ça l'aide à vivre au jour le
jour. Elle voudrait leur adresser un grand merci, car elle reçoit autant qu'elle donne.
Pour elle, être Trinitaire, c'est mener une vie chrétienne, tout simplement: suivre
Jésus, dans une attitude d'amour et d'offrande.
Pour Soeur Marie-Evelyne, c'est presque une histoire de mots. À neuf ans
déjà, elle était subjuguée par le mot SOEUR. A dix-sept ans c'est celui de TRINITAIRE
qui a résonné. Ayant eu l'occasion de participer à une réunion destinée aux «jeunes
qui cherchent leur avenir», elle a d'abord rencontré une soeur de Saint-Louis, très
joyeuse et dynamique, qui s'occupait d'enfants : premier «choc». Quelques mois plus
tard, elle a assisté avec des Carmélites à un diaporama où elle a suivi le parcours
d'une religieuse. Très touchée, elle en a pleuré, à la suite de quoi elle a beaucoup
prié. Quelques temps plus tard, elle a passé trois Jours (quelle horreur la séparation
d'avec ses parents !) chez les soeurs du Cénacle. Là elle a vu trois films : l'un sur le
mariage, l'autre sur le célibat, le troisième sur la vie religieuse. Devinez lequel l'a
le plus marquée ? En tant que Trinitaire, elle apprécie la vie fraternelle. «Je me sens
chez moi en famille».
Quoiqu'élevée dans sa famille maternelle qui était protestante, Ella Rose,
à dix-sept ans, a rencontré une religieuse qui lul a donné envie de devenir catholIque,
comme son père. Elle a donc suivi la catéchèse, s'est fait baptiser et c'est à
vingt-deux ans, grâce à la rencontre avec un père Trinitaire, qu'elle s'est décidée.
Dans quelques semaines elle va «prendre l'habit», à Lyon. La vie en communauté ?
«C'est très fort, et très important, cet esprit de famille, bien plus que dans
n'importe quelle autre congrégatiom».
Aînée de sa famille, Ludovic a eu la chance d'avoir un père qui
considère que les femmes peuvent faire comme les hommes. En l' occurence des études.
Lorsqu'elle lui a annoncé son désir de devenir religieuse il ne s'y est pas opposé.
Mais... «Etudie, d'abord. Tu m'en reparleras dans trois ans». Une fois sa licence
d'économie en poche, toujours décidée, elle en a informé son père qui cette fois lui
a donné l'autorisation. Mais elle aurait préféré ne pas quitter son pays. Pourtant,
son pere etant de par ses fonctions souvent muté, elle a beaucoup voyagé. Mais c'est
quitter sa mère qui lui a le plus coûté...
Le milieu familial de Sreur Marta-Nelly n'était pas particulièrement
pratiquant. Lorsque à quinze ans, une amie qui se faisait religieuse lui a proposé «Tu
viens avec moi ?» elle n'avait jamais songé à cette éventualité, Ce n'est pas pour
moi, se dit-elle. Quoique... A vingt-trois ans, après avoir parlé avec deux religieuses
(qu'en Colombie on appelle «las marias») elle s'est demandé : «Qu'est-ce que je vais
faire dans la vie ? Le mariage ? Ah non ! les enfants, je les aime bien. De là à en
avoir !». Elle a beaucoup réfléchi. Chaque fois qu'elle téléphonait aux Soeurs, prise
de panique elle raccrochait. Le jeudi elle allait visiter les prisonniers. Est-ce là
qu'est née sa vocation ? Tout est grâce... Saint Jean de Matha voulait libérer ceux qui
étaient enchaînés. Elle compare sa vocation à une sorte de pêche miraculeuse.
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