n° 219 Eté 2002

 

L'Edito par Lucien AURARD

I


AVEC L'ÉTÉ QUI VIENT,  DIEU S'INVITE CHEZ NOUS


Dans quelques jours va commencer le 56ème Festival d'Avignon et nous serons nombreux à ouvrir nos maisons à notre famille, à des amis ou encore à des hôtes de passage. Peut-être le savez-vous déjà, cette année, Saint-Ruf accueille aussi la télévision : l'émission «le jour du Seigneur» sera le 18 août à Avignon et c'est chez nous que sera diffusée la messe télévisée. Nous voilà à nouveau partie prenante d'une des plus belles traditions de l'histoire humaine : l'hospitalité. Ne boudons pas notre chance : l'hospitalité dérange, enrichit, déboussole, aide à sortir de soi, élargit les horizons. Dans un monde où règne souvent la tentation du repli sur soi et dans lequel souffle si facilement le vent de la xénophobie, faire une place à l'autre, c'est à l'évidence un bon réflexe d'hygiène spirituelle.


L'hospitalité est un don. Faire place à l'autre est un bienfaît. «C'est un véritable ressort que celui de l'envie de donner, d'aider l'autre, une dimension de l'homme, y compris de l'homme moderne. Les gens ne peuvent pas vivre que pour eux-mêmes» dit Anne Gotman lorsqu'elle parle de son livre "Le sens de l'hospitalité" (PUF, 2001). Elle explique que dans les moteurs de l'hospitalité il y a la vraie gourmandise vis à vis des liens sociaux, l'envie de connaître d'autres mondes, le désir d'aérer le quotidien et aussi le plaisir d'avoir une maison pleine. Elle cite René Schérer : «L'hospitalité tourmente l'identité». L'autre vous tend un miroir, vous interroge sur votre propre identité, vous destabilise, vous remet en question jusque dans votre générosité.

 

II

Nous savons bien que la tradition de l'hospitalité habite toutes les cultures et toutes les religions. Homère, dans son Odyssée, met sur les lèvres d'Eumée à l'adresse d'Ulysse: «Étranger, ma coutume est d'honorer les hôtes... Oui, les étrangers, les mendiants, tous nous viennent de Zeus». La grande tradition juive non seulement ne fait pas exception à cette règle mais en augmente encore l'importance: l'orientaliste Louis Massignon (1883-1962) qualifiait Abraham de «premier héros de l'hospitalité». Pour s'en convaincre, il suffit de relire, au chapitre 18 du livre de la Genèse, l'épisode du chêne de Membré où Abraham accueille avec empressement trois mystérieux visiteurs, les vénère et les reçoit avec magnanimité. La tradition chrétienne qui va pousser encore plus loin l'exigence de l'accueil inconditionnel de l'étranger a vu dans ses trois visiteurs une image de la Trinité. Le peintre russe André Roublev y a consacré sa célèbre icône. On perçoit un toit et un chêne pour rappeler le contexte mais Abraham et Sara ne sont plus là pour laisser toute la place aux trois étrangers.


Le Dieu chrétien, en effet, est hôte dans les deux sens du terme, visiteur et visité, convive et maître de maison. Pratiquer l'hospitalité, c'est donc imiter Dieu. Au fil des siècles, l' attitude d'accueil sera même la pierre de touche, le critère numéro un de la vie chrétienne. La règle de saint Benoît, au chapitre 53, le résume parfaitement: «Les hôtes qui surviennent au monastère doivent être accueillis comme le Christ, car il dira un jour : «J'ai demandé l'hospitalité et vous m'avez reçu».

Bon Festival. Bonne période estivale.

Donnons une belle place à l'accueil, à l'amour, à la bonté, à l'amitié et à la solidarité.

Cet été Dieu s'invite chez nous.

 

Un article : Sous les frais ombrages de Champfleury par Anne Camboulives

une brûlante actualité...

...celle du feu de l'esprit, de l'enthousiasme. Chaleur, foi et solidarité: autour d'un bouquet de drapeaux qu'elles ont fièrement dressés, six jeunes femmes m'accueillent royalement. De toutes les couleurs, à l'image de ces joyeux tissus, emblèmes de leurs pays : Afrique, Asie, Europe ou Amérique du Sud, sans oublier celle du Nord avec le Canada, en l'honneur de Soeur Marie-Renée. Des origines différentes, un destin commun : servir Dieu, et libérer les hommes. C'est l'engagement des Trinitaires. Car nous sommes chez elles.
Déjà religieuses pour la plupart : Sceurs Angélique, Marie-Josèphe, Marie-Evelyne et Marta-Nelly ; novice ou postulante pour deux d'entre elles : Ella Rose qui prendra l'habit au mois d'août, et Ludovic-Magloire, arrivée il y a tout juste un mois. A l'image de Saint Jean de Matha, le fondateur de leur congrégation, ouvertes aux besoins du monde et s'y adaptant chaque jour, elles ont tout quitté.
Avec la permission de leur supérieure, Sceur Odile-Marie toujours aussi lumineuse, chacune; tour
à tour, a bien voulu se prêter au jeu de nos questions.

I

Si vous nous présentiez votre pays ou région respectifs ?
Elia Rose
prend la parole. Sa terre c'est le Con.go Brazzaville, dont l'independance remonte a 1960. Au coeur de l'Afrique, il compte deux capItales : Brazzaville, la «politique», Pointe Noire «l'économique». Plus de deux millions et demi d'habItants y parlent essentIellement le français, mais aussl le lingala et le munukutuba, ainsi que de multiples «patois». Ses richesses ? Le pétrole et Ia mer !
Le pays de Ludovic jouxte le sien, juste séparé par un fleuve, que de ce côté on appelle Zaïre, tandis que de l'autre on l'appelle Congo ! Ancienne colonie belge, la République Démocratique du Congo est le plus grand pays d'Afrique et compte quarante neuf millions d 'habitants. Ses richesses minières sont immenses (or, diamant, cobalt, cuivre, manganèse...) et suscite beaucoup de convoitises. Les congolais eux-mêmes n'en profitent pas vraiment.
Celui de Soeur Marie-Evelyne est une île, séparée de l'Afrique par le canal du Mozambique : c'est Madagascar, qui compte six provinces et pas moins de dix-huit ethnies pour seize millions d'habitants. La faune et la flore y sont très riches, et comme ressources on peut citer le riz, le café, l'or, les pierres précieuses, dont le saphir, découvert récemment. Les habitants les plus âgés parlent bien le français, ainsi que les tous jeunes gens de moins de dix-neuf ans, car pendant une longue période on ne l'a plus appris à l'école.
Sreur Marta-Nelly parle (arnvée il y a moins d'un an elle a gardé son charmant accent et se débrouille déjà très bien) avec beaucoup de poésie de son pays, la Colombie. «Mon pays, c'est ce que je fais pour lul. Si je chante, mon pays chante aussi, si je pleure, mon pays pleure aussi». Dans cette terre de violence et de pauvreté située au nord de l'Amérique du Sud, on ne se laisse pourtant jamais aller au drame, on sourit devant les épreuves. 2ème producteur mondial de café, on y trouve aussi du pétrole, et de belles orchidées. Quant aux jus de fruits qu' on boit abondamment, on les presse directement, tout juste cueillis de l'arbre.
On parle beaucoup du pays de Soeur Marie-Josèphe en ce moment : la Corée du Sud, où se déroule la coupe du monde de football. Il reste très marqué, dit-elle, par Confucius qui contrairement à ce qu'on croit souvent a donné naissance non à une religion, mais à une philosophie, basée sur le respect et la politesse à l'égard des autres. On honore beaucoup les ancêtres. Colonisé par les Japonais pendant trente-trois ans, il l'est aujourd'hui économiquement par les Etats-Unis, d'où un usage répandu de l'anglais. Ils sont très forts en informatique.
Quant à Sreur Angélique, elle nous vient d'Alsace, région très riche autant par sa situation géographique que par son passé (depuis le Concordat, les prêtres touchent un salaire...) et sa culture. C'est là que se trouve Strasbourg, la capitale européenne. On y parle obligatoirement, en plus du français, l'alsacien ou l'allemand, qu' on apprend dès la maternelle ; lorsqu'on postule pour un emploi, il faut justifier l'usage de l'un ou de l'autre. On ne peut pas rester indifférent devant les jolies maisons à colombages, et les fêtes villageoises y sont très gaies.

 

 

 

II

Quelque chose vous a-t-il étonnée particulièrement en arrivant icl ?
«La neige !» C'est le cri du coeur de Soeur Marta Nelly. Pourtant elle ne craint pas le froid: «il y a le chauffage...». L'été en revanche est plus difficile a supporter, la chaleur n'est pas du tout la même qu'en Colombie. Pour ce qui concerne la nourriture, certes les aliments sont différents, mais elle s'est bien adaptée. «Elle aime la soupe !» s'écrient ses soeurs. Et oui, làs-bas on en mange tous les jours, midi et soir.
Lorsqu'elle est arrivée à Lyon il y a deux ans, Soeur Marie-Evelyne, n'en est pas revenue de l'ordre qui y règne, ainsi qu'à Avignon d'ailleurs : on respecte les feux de cIfculatlon ! Par contre la messe... C'est plus froid qu'à Madagascar, et tellement plus court ! Là-bas elle dure deux heures, en temps ordinaire, et quatre heures les jours de fête ! Elle trouve un peu triste que souvent on ne connaisse même pas ses voisins. Peut-être y a-t-il plus d'individualisme ? En revanche les cimetières, ça c'est vraiment bien : «au moins les gens sont tous ensemble. Chez nous on les enterre tout seuls, chez eux.»
Soeur Marie-Josèphe, elle, est habituée à l'individualisme, caractéristique des pays occidentalisés, ce qui est le cas de la Corée. A Paris elle ne s'est pas sentie dépaysée, «des gens y sont aussi stressés que là-bas !» En revanche elle a été étonnée par le comportement des enfants : chez elle ils demandent, ils se retiennent. Ici on parle beaucoup, on explique (trop ?), mais c'est positif.
Bien que d'origine italienne, Soeur Angélique, était habituée à une certaine réserve, de la part des Alsaciens. Elle a été séduite ici par le soleil, la chaleur, l'accent chantant, la simplicité et la spontanéité de la population qui vit beaucoup dehors. Elle goûte moins le mistral...
Arrivée en Août 2000, la vie de couvent a vraiment surpris Ella Rose. Ainsi que le silence, à la messe. Elle est habituée à plus de dynamisme. Le climat, l'hiver notamment, l'a beaucoup énervée. «Ah non, je ne peux pas !». Devoir s 'habiller tellement, elle qui aime ses tenues si jolies il est vrai, mais un tantinet légères pour un tel froid... Elle s'est adaptée finalement au déroulement des repas, très hiérarchisés : au Congo-Brazzaville, on mélange tout.
Ludovic, pour ainsi dire, vient d'arriver. Aussi quel choc, lorsqu'elle vit s'embrasser, sans pudeur, les couples dans la rue ! Chez elle, ce sont des choses intimes, reservées strictement à l'intérieur... Elle trouve un peu paradoxale la présence... des crottes de chiens dans un pays par ailleurs tellement propre. Au Congo-Zaire c'est un problème qui n'existe pas : tout n'est pas goudronné, de nombreux chemins de terre permettent aux animaux de nettoyer eux-mêmes. Intéressant, n'est-ce pas, de re-découvrir son pays à travers des regards étrangers ?

Ouvertes aux besoins du monde et s'y adaptant, elles ont tout quitté

III

Pourriez-vous nous parler de votre vocation, et de ce qu'est la vie d'une Trinitaire ?
«C'est un grand coquim» dit malicieusement Soeur Marie-Josèphe, à propos de Dieu. Et en effet, pour chacune, le cheminement a pris parfois de bien étranges voies.
En Corée par exemple on est généralement bouddhiste ; la démarche vers le catholicisme a été différente des autres pays, ceux qui recevaient la visite de prêtres ou de religieuses. Ici, ce sont les échanges avec la Chine qui ont permis aux habitants de connaître cette religion, et ce sont eux-mêmes qui ont été demandeurs. Sa maman donc, petite, était bouddhiste, ses grands-parents avaient même fait construire un temple pour des moines. Jeune fille, à l'occasion de ses études, elle s'est faite baptiser. Elle aurait même bien voulu devenir religieuse. Mais ses parents n'ont jamais voulu. Elle s'est donc mariée, a eu des enfants, Marie-Josèphe entre autres, dont le prénom coréen contient les mots sainteté et pureté (!). Elle a donc grandi dans cette foi transmise par sa mère. Dès le jardin d'enfants, elle a su qu'elle serait religieuse. Mais arrivée à l'âge adulte, elle se sentait minable, avait peur de ne pas être à la hauteur. Une de ses amies est devenue Trinitaire. La formation ne pouvant s'effectuer en Corée, elle a dû partir, et la communauté s'est trouvée démunie. «Tu ne voudrais pas venir nous aider ?». Petit à petit elle y a passé de plus en plus de temps. Et un jour elle a franchi le pas. Etre Trinitaire, à ses yeux, c'est la communion des personnes, c'est aimer, offrir.
Soeur Angélique, est presque religieuse depuis toujours. Sa grand-mère, qui l'a élevée, la prenait sur ses genoux et lui chantait des chansons. Elle avait une très belle voix. Elle se souvient particulièrement de celle qui était dédiée à la Vierge Marie. C'est le jour de sa première communion, à neuf ans, qu'elle a dit OUI à Jésus. Son directeur spirituel la connaît depuis qu'elle est toute petite. Aujourd'hui c'est un grand bonheur pour elle de faire chanter les paroissiens de Saint- Ruf. «C'est comme si j'adressais une prière à Dieu, et je me sens soutenue par eux, pour qui je prie». Elle apprécie leur foi, les visages souriants... Ça l'aide à vivre au jour le jour. Elle voudrait leur adresser un grand merci, car elle reçoit autant qu'elle donne. Pour elle, être Trinitaire, c'est mener une vie chrétienne, tout simplement: suivre Jésus, dans une attitude d'amour et d'offrande.
Pour Soeur Marie-Evelyne, c'est presque une histoire de mots. À neuf ans déjà, elle était subjuguée par le mot SOEUR. A dix-sept ans c'est celui de TRINITAIRE qui a résonné. Ayant eu l'occasion de participer à une réunion destinée aux «jeunes qui cherchent leur avenir», elle a d'abord rencontré une soeur de Saint-Louis, très joyeuse et dynamique, qui s'occupait d'enfants : premier «choc». Quelques mois plus tard, elle a assisté avec des Carmélites à un diaporama où elle a suivi le parcours d'une religieuse. Très touchée, elle en a pleuré, à la suite de quoi elle a beaucoup prié. Quelques temps plus tard, elle a passé trois Jours (quelle horreur la séparation d'avec ses parents !) chez les soeurs du Cénacle. Là elle a vu trois films : l'un sur le mariage, l'autre sur le célibat, le troisième sur la vie religieuse. Devinez lequel l'a le plus marquée ? En tant que Trinitaire, elle apprécie la vie fraternelle. «Je me sens chez moi en famille».
Quoiqu'élevée dans sa famille maternelle qui était protestante, Ella Rose, à dix-sept ans, a rencontré une religieuse qui lul a donné envie de devenir catholIque, comme son père. Elle a donc suivi la catéchèse, s'est fait baptiser et c'est à vingt-deux ans, grâce à la rencontre avec un père Trinitaire, qu'elle s'est décidée. Dans quelques semaines elle va «prendre l'habit», à Lyon. La vie en communauté ? «C'est très fort, et très important, cet esprit de famille, bien plus que dans n'importe quelle autre congrégatiom».
Aînée de sa famille, Ludovic a eu la chance d'avoir un père qui considère que les femmes peuvent faire comme les hommes. En l' occurence des études. Lorsqu'elle lui a annoncé son désir de devenir religieuse il ne s'y est pas opposé. Mais... «Etudie, d'abord. Tu m'en reparleras dans trois ans». Une fois sa licence d'économie en poche, toujours décidée, elle en a informé son père qui cette fois lui a donné l'autorisation. Mais elle aurait préféré ne pas quitter son pays. Pourtant, son pere etant de par ses fonctions souvent muté, elle a beaucoup voyagé. Mais c'est quitter sa mère qui lui a le plus coûté...
Le milieu familial de Sreur Marta-Nelly n'était pas particulièrement pratiquant. Lorsque à quinze ans, une amie qui se faisait religieuse lui a proposé «Tu viens avec moi ?» elle n'avait jamais songé à cette éventualité, Ce n'est pas pour moi, se dit-elle. Quoique... A vingt-trois ans, après avoir parlé avec deux religieuses (qu'en Colombie on appelle «las marias») elle s'est demandé : «Qu'est-ce que je vais faire dans la vie ? Le mariage ? Ah non ! les enfants, je les aime bien. De là à en avoir !». Elle a beaucoup réfléchi. Chaque fois qu'elle téléphonait aux Soeurs, prise de panique elle raccrochait. Le jeudi elle allait visiter les prisonniers. Est-ce là qu'est née sa vocation ? Tout est grâce... Saint Jean de Matha voulait libérer ceux qui étaient enchaînés. Elle compare sa vocation à une sorte de pêche miraculeuse.

A travers tous ces témoignages on le voit : les Trinitaires sont aujourd'hui présentes dans de nombreux pays. Spirituelles, gaies, courageuses et optimistes, elles ont prié, écouté, entendu, choisi. Elles continuent, dans un monde si matérialiste, d'ouvrir des chemins de liberté. La petite semence prend racine.

 

En parcourant nos quartiers et nos rues - 11 par Michel HAYEZ
Champfleury, un grand jardin. (suite)

I

L'apparition de dénominations de voies révèle l'urbanisation progressive des faubourgs de la ville. De la fin du XIXème siècle à la première guerre mondiale, l'on peut citer la rue des Camélias, l'impasse des Mûriers, celles des Violettes, des Roses et -pourquoi pas s'il s'agit du terreau, l'un des éléments fertilisant de nos cultures ? -la rue Terre noire. L'avenue des Lieues, la rue de la Pépinière, l'impasse des Saules, celle des Abeilles -les premières récolteuses de nos jardins -, des Aubépines, la rue des Dalhias, appartiennent à la décennie 1920, celles des Fleurs, des Tamaris, des Caroubiers, des Capucines, des Glycines, des Iris, des Pensées, aux années 1930. Lorsque fut créé le «Clos des Tilleuls», ensemble résidentiel à l'angle des avenues des Deux Routes et de Tarascon, une courte impasse fut ouverte, celle des Arbousiers. Ainsi, lorsque l'imagination est à court de vocables, édiles et propriétaires de villas puisent-ils dans la grande corbeille de la flore ! Sont bien nommées toutefois les impasses des Violettes -nous l'avons évoqué dans le précédent article à propos de l'avenue -, mais aussi celles des Mûriers et des Saules puisque nous lisons dans un contrat de fermage du début du XVIIIème siècle, que les terres du domaine de Monclar étaient complantées de ces derniers.

Une voie tire son charme de la qualité architecturale, de l'originalité des matériaux de ces immeubles, mais aussi parfois de la notoriété de ses anciens habitants, à des titres divers. C'est ce que j'essaie de dégager ici.

Les façades au sud de la rue des Camélias (n° pairs) sont d'aspect modeste et nous rappellent qu'en 1921 sur la quinzaine de maisons (nombre qui avait vraisemblablement doublé en trente ans, car il y avait encore à la fin du XIXème siècle un cultivateur, Jassot), beaucoup étaient celles d'employés du P.L.M. C'est probablement sur le côté nord de la rue, avec jardin, qu'habitaient alors un ingénieur de la poudrerie de Sorgues ainsi qu'un rentier. Mais je ne puis préciser où vécut l'érudit Lucien Gap (1850-1931) ; il occupa onze postes d'instituteur public, de Faucon à Oppède, et acheva sa carrière itinérante comme sous-archiviste au Musée Calvet (synonyme bien sûr de la bibliothèque municipale jusqu'il y a une trentaine d'années), de 1907 à sa retraite, le paradis pour un chercheur comme lui.

II

 

Entré à l'Académie de Vaucluse dès sa renaissance en 1882, il accumula copies de documents et articles (parus dans les Mémoires de la dite académie, la Revue du Midi, les Annales d'Avignon et du Comtat du Dr Pansier) sur Séguret, son village natal, aussi bien que sur Gigondas, Villars, Saint-Saturnin-Iès-Apt, etc. ; le tout, donné aux Archives départementales après sa mort, y forme un fonds bien intéressant. Y attenant, la rue Terre noire, où le coIistat effectué sur la rue précédente se fait ici inversement: au sud de la rue, quelques décors de façades soignées (n°10-14) s'opposent à la grande modestie de treize maisons (côté impair), serrées telles un «coron» du Nord de la France. Si en 1921, l'on y trouvait aussi des employés du P.L.M., la rue était marquée par l'immigration italienne; yexerçait l'étameur italien Orsini, veuf, chargé de sept enfants, mais y étaient arrivés apparemment de l'Italie du sud, les deux ménages Barbaro, celui de Raphaël, menuisier, et (fils ou neveu) celui de Jean, sculpteur. A lire l'annuaire téléphonique de 1926, Raphaël avait ouvert son atelier ou magasin au 19 (de l'époque) du boulevard Saint-Ruf, tandis que Robert fabriquait des carrosseries de luxe pour automobiles au n°85 du même boulevard. Il y avait aussi Joseph, de la famille, ébéniste habitant 10, rue des Camélias (en 1936). L'impasse des Violettes, perpendiculaire à l'ouest de l'avenue du même nom, présente des maisons bâties avec soin il y a environ un siècle, à l'exception sans doute de celle du fond (n°14) qui a peut-être cinquante ans de plus. Quant au n°12, la maison tout en briques surprend; n'aurait-elle pas eu pour propriétaire un certain Gaston de Landerset né à Marseille en 1867, et dont la famille était originaire de Fribourg (Suisse) ? Sur les vingt-trois ménages qui y vivaient vers 1931, il y avait beaucoup de militaires, d'employés du P.L.M., de retraités aussi.


L'impasse des Roses, à l'ombre d'un immeuble collectif tout neuf ouvrant sur l'avenue Saint-Ruf, n'est pas dépourvue de maisons anciennes, sans en dire plus.

Nous retrouverons des artistes peintres -une attirance réciproque entre leur palette et les coloris des fleurs -dans la prochaine suite...

Sources : Annuaires et recensements de population de 1921, 1931, 1936.

 

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