I
Demander ce que représente pour lui la résurrection à un agnostique de
mon espèce qui, par une sorte d'ironie, est né un samedi de Pâques et qui a
souvent fréquenté la foi qu'il ne possède pas c'est le précipiter dans un
tourbillon d'interrogations
Et si c'était
Et si c'était, comme l'affirment certains, l'allégorie la plus dramatique que l'on eût
jamais conçue pour célébrer le cycle immuable de la nature et de la renaissance dans
les saisons ?
Et si c'était la bonne, vieille et païenne manière de célébrer le surgissement de la
lumière, et sa nécessité ?
Et si c'était un signe imaginé pour exprimer notre récurrent besoin de sortir de notre
chrysalide ?
Et si c'était une manière de refuser toute rupture dans le processus de construction
ininterrompue qu'est la vie ?
Et si c'était comme le point de soudure entre l'au-delà et l'en-deçà ?
Et si c'était une occasion de proclamer un irréductible désir de félicité ?
Et si c'était une façon de rappeler que les forces de l'esprit, pour vaincre la mort,
cherchent à se perpétuer par les émotions comme par les idées ?
Et si c'était une parabole de la volonté de survivre face à l'inclination suicidaire de
nos sociétés ?
Et si c'était une cérémonie destinée à conjurer le pouvoir des calamités ?
Et si c'était la preuve que les desseins les plus noirs ne peuvent avoir raison de
l'existence ?
Et si c'était, face à la tombola du destin, une manière de se dire : pourquoi pas moi ?
Et si c'était une ruse du désir pour tromper le sort qui le contrarie ?
Et si c'était un gage dans le pari de Pascal ?
Et si c'était l'excuse trouvée pour faire croire à nos bonnes consciences que ceux que
nous avons crucifiés renaîtront et nous pardonneront ?
Et si c'était un moyen pour donner de l'autorité à ce qui n'a pas vraiment l'air d'en
avoir ?
Et si c'était une manière de forcer Dieu à rompre le silence en Lui racontant cette
histoire ?
Et si c'était l'évidence que nous avons substituée à l'introuvable preuve de notre
immortalité ?
Et si c'était ce qui, avec l'idée de la perfection, fit entrevoir à Descartes
l'existence de l'âme et celle de Dieu ?
Et si c'était le meilleur roman écrit du temps des Evangiles ?
Et si c'était la plus shakespearienne des pièces écrites avant Shakespeare ?
Et si c'était l'invention d'un feuilletoniste qui sait qu'on ne laisse jamais mourir le
héros d'une belle histoire et que, si l'on s'y est laissé prendre par distraction, il
faut le ressusciter dans le plus prochain chapitre ?
Et si ce n'était qu'un mot choisi pour faire la démonstration que les mots peuvent
s'emparer des pouvoirs de la chose qu'ils désignent ?
Et si c'était un truc d'apôtre ou une recette de sorcier pour nous obliger à croire
sans réfléchir ?
Et si c'était une machination pour nous imposer de comprendre sans recevoir d'explication
?
Et si c'était une manière de nous prouver que nous n'arrivons pas à penser clairement
ce ou Celui qui nous a pensés ?
Et si ça restait à jamais une énigme dans les tribulations du hasard ?
Et si c'était une occasion de rappeler, comme l'insinue Renan, que le blasphème est
peut-être plus agréable à Dieu que la prière intéressée ?
Et si c'était une question piège pour mettre mon âme à nu ?
Et si la question de la Résurrection n'était pas une question ?
Et si car il faut en terminer c'était tout simplement ce que vous croyez
que c'est ?
|
II
Hubert Nyssen qui se dit agnostique a bien voulu répondre à cette
question, sans verser dans la complaisance ! Aussi nous a-t-il paru équitable de
soumettre son texte à la controverse, avec son accord. Geneviève Landié, Roger Mattéi
et Martine Nolot, trois universitaires croyants, proposent leur vision
« La Résurrection est-elle une question ? Faut-il en terminer avec elle?
Mais c'est que je ne peux pas en terminer avec cette question, justement ! Et je bute sur
la dernière phrase du texte de Hubert Nyssen : « Et si c'était tout simplement ce que
vous croyez que c'est ? ». J'y trouve en creux ce qu'est la Résurrection pour moi. Mais
je l'y trouve à la lumière de Blaise Pascal Certes, il n'était pas un théologien de
bonne fréquentation, mais comment ne pas se confronter à lui lorsqu'il écrit : « Je
crois parce que c'est absurde » ? Oui, c'est absurde de croire en un Christ né, Dieu,
Ressuscité. Non pas absurde au sens de « idiot », « imbécile », mais absurde au sens
de « qui ne doit rien à la raison ». S'il s'agissait de raison, alors je ne dirais pas
« Je crois à la Résurrection », mais « Je sais
qu'il y a eu la Résurrection », et je tenterais de me colleter aussi avec la question :
« qu'est-ce que la
résurrection ? ». Mais les belles constructions logiques ne me servent à rien cette
fois.
Absurde aussi au sens de « qui ne doit rien au sentiment ». Je ne sens pas d'émotion,
qu'elle soit
affective ou esthétique, face à Pâques. J'aime les rites qui entourent cette fête (le
feu de la nuit, les bougies allumées puis éteintes, l'eau
), mais ce sont des
signes, pas la Résurrection.
Absurde parce que malgré tout il me faut bien faire avec cette certitude intérieure,
loin de toute
démonstration, loin de toute effusion : Christ est mort et ressuscité. Désormais, la
mort n'aura plus jamais le dernier mot (oui, je sais, je cite Lucien Aurard
). Elle
continue à poser sa main partout, à glacer ici, séparer là, saccager ailleurs,
désespérer un peu partout. Mais une lumière jaillie le premier
matin de Pâques vacille au-delà : la mort aura beau faire (et elle ne s'en prive pas !),
la certitude d'un
Amour inconditionnel et absolu (et cette certitude n'est-elle pas elle-même absurde,
quand je me
connais si bien avec mes limites ?) aura toujours un peu plus de force qu'elle. »
|
III
« Depuis des millénaires, les hommes croient en une vie après la mort,
comme en témoignent les rites funéraires pratiqués dans la plupart des civilisations :
les archéologues ont retrouvé, près du pont du Gard, des squelettes ensevelis dans la
Terre (Mère), dans la position du ftus, tournés vers le lever du soleil.
Bien sûr, on pourrait ricaner en disant qu'il s'agit de superstitions d'un autre âge,
incongrues à notre époque tout imprégnée de science, de sagesse et de raison
Nous pensons, au contraire, que nos ancêtres ont eu l'intuition que la fin de leur vie
n'était pas l'entrée dans le néant, que la mort n'avait pas le dernier mot, intuition
qui trouve son aboutissement dans la Résurrection du Christ, prélude à celle de tous
les hommes.
Bien sûr, personne ne pourra prouver la Résurrection du Christ, mais personne, non plus,
ne pourra prouver que notre espérance n'est qu'illusion. Jésus n'est apparu ni à Pilate
ni à Caïphe ni au Sanhédrin: il ne leur a pas imposé de croire en lui. Ceux qui en
témoignent sont ceux qui l'avaient suivi, connu, aimé : quand nous aimons quelqu'un,
nous sentons sur son visage, sur son corps, au son de sa voix
des signes
imperceptibles d'amour, de joie, de tristesse, de doute
que personne d'autre ne
reconnaîtra : le premier témoin, on pourrait s'en étonner, est une femme, Marie
Madeleine, une pécheresse, mise au ban de la société !
Bien sûr, personne ne pourra dire quelle forme prendra notre Résurrection : le
ftus, dans le ventre maternel, peut-il comprendre et appréhender tout ce qui fait
une vie humaine: les couleurs des fleurs, le goût des fruits, les joies de l'amitié et
de l'amour, la beauté des arts
?
Bien sûr, la Résurrection répond à notre besoin d'amour, de vie, de bonheur. Pourtant,
après la mort de Jésus, les disciples n'attendent pas du tout la Résurrection: ils sont
abattus et désemparés. Quand on leur annonce la nouvelle, leurs premières réactions
sont le doute, l'incompréhension, la peur et le silence. Puis, cette réalité qui les
dépasse va transformer leur vie: ces hommes simples, complètement
découragés, vont se mettre en marche : ils ne se réfugient pas dans une félicité
stérile mais parlent, voyagent, font des disciples et affrontent un environnement
particulièrement hostile.
C'est que la Résurrection du Christ donne tout son sens à la création : notre monde,
notre vie, notre humanité sont-ils le résultat du hasard et de la nécessité, ou
sommes-nous le fruit d'une volonté intelligente et aimante ?
Tout ce que les hommes ont pu créer et vivre d'ingéniosité, de science, de beauté, de
bonté, d'amour
est-il le résultat du hasard, destiné à disparaître dans le vide
sidéral ?
Toutes les vies de ces milliards d'hommes, passées et à venir, sont-elles le fruit d'un
hasard aveugle ?
Toutes les vies violées, écrasées, massacrées par les horreurs de toutes sortes
ont-elles pour point final la haine, l'injustice, la souffrance et la disparition dans le
néant ? Ou bien seront-elles un jour transfigurées par l'Amour et dans l'Amour ?
La mort de nos proches nous a séparés d'eux. La nôtre nous réunira tous dans
l'Amour.Sur le seuil de la Maison, notre Père accueillera celui qui croyait au ciel et
celui qui n'y croyait pas. Ses bras s'ouvriront sur nous, car nous avons tous été voulus
et nous sommes tous attendus. »
|
IV
« J'aime les jeux littéraires où brille l'esprit, et ce petit exercice
auquel s'est livré Hubert Nyssen ne manque pas de charme. Qu'y a-t-il au-delà ?
L'auteur se présente comme un agnostique pour qui, bien évidemment, le mot «
résurrection » n'a pas de sens. La question d'Anne Camboulives l'a-t-elle vraiment «
précipité dans un tourbillon d'interrogations », comme il le prétend ?
Certes le texte multiplie les tournures interrogatives, mais il me semble
que toutes les phrases convergent vers le même objectif, celui de tourner en dérision la
résurrection.
Et dans ce texte, je ne vois pas seulement le témoignage d'un incroyant ; j'y vois aussi
celui d'un esprit résolument pessimiste qui brosse un tableau noir pour les besoins de sa
démonstration : l'homme, écrasé par le destin, conscient de sa situation tragique,
tente d'y échapper en s'accrochant à l'illusion de la résurrection, potion magique
délivrée par l'église sorcière. Ce monde des « calamités », des « desseins
les plus noirs » et des « sociétés suicidaires », a inventé la résurrection, bien
commode pour se voiler la face et pour oublier sa faiblesse.
Voilà comment on pourrait lire le texte d'Hubert Nyssen.
Pour ma part, si je suis sensible à la beauté du poème, je ne partage
pas la vision du monde que son auteur me semble y exprimer.Je ne parlerai pas de
l'au-delà ce ne sera pas très catholique ; mais je voudrais affirmer que l'homme
est étonnant par sa grandeur, par la force qu'il est capable de puiser en lui. Nous
rencontrons tous les jours, dans nos vies, des signes de résurrection. Et nous savons
bien qu'un regard plein d'amour peut redonner vie à ce qu'on croyait mort.
Hubert Nyssen n'aurait-il pas su regarder le monde ? Je ne le crois pas ;
et pourtant son texte semble manquer un peu d'amour et d'espérance.
« Et si c'était une question piège pour mettre mon âme à nu ? »
écrit-il. Justement, dans sa réponse, Hubert Nyssen, prisonnier de sa thèse, n'a
peut-être pas voulu mettre son âme à nu. Il a préféré le jeu des images. Une fois le
processus entamé, la mécanique du jeu avec les mots se déroule, implacable, jusqu'à la
pirouette finale. Le plaisir de la création l'a emporté sur l'essentiel. Pour échapper
au piège de
la question, il est tombé dans le piège des mots et des images.
Et peut-être lui-même n'en croit-il pas un mot. »
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