I
Prolongée par l'avenue des Sources jusqu'à la rocade Charles-de-Gaulle,
l'avenue de l'Arrousaire ("l'arroseur") mérite bien le nom que
lui vaut ce quartier humide. Au début du XXème siècle, il y avait encore quatre lavoirs
publics avec gérant, et dans les décennies suivantes, la quantité relative de
blanchisseuses perpétua la tradition.
En 1911, le côté ouest (pair, mais la numérotation des immeubles n'existait pas alors
extra-muros) comprenait vingt-neuf maisons contre cinquante-sept à l'est, dont les
façades étaient naturellement plus ensoleillées; un décalage qui ne se démentit pas
dix ans plus tard où les mêmes côtés abritaient respectivement cinquante-trois contre
cent-trois ménages. Lorsque le terrain était spacieux, la façade de l'immeuble pouvait
être alignée au midi, ainsi pour la grande et belle maison (n°10) d'Achille
Maureau (1860-1921) qui, négociant en charbons, fut conseiller général (
canton de Bédarrides) de 1901 à sa mort, élu président de l'assemblée départementale
en 1912 et sénateur de 1905 à 1920. Au sénateur Maureau succéda le maître de forges Emile
Desfond, héritier en partie de son père Joseph ( 1828 ? -1901 ) qui, associé
à ses frères Marcel et Eugène, avait transféré en 1864 à l'entrée de la route de
Tarascon ses hauts- fourneaux et la fonderie créée deux ans plus tôt au quartier de
Bonaventure. Après le décès d'Emile en 1932, l'urbanisation du quartier s'accentua pour
donner lieu à un lotissement desservi par le boulevard Emile-Desfond (1937) ; cette
maison de maître est aujourd'hui le foyer d'Action éducative spécialisée (FAES)
"le Regain".
Alors qu'aujourd'hui ne subsistent comme commerces d'alimentation que deux boulangeries
(en comprenant celle du 92 avenue des Sources) et celle de Monsieur Paul Gilles,
président de la Chambre de Métiers au 87 rue de l'Arrousaire), s'alignaient au-delà de
la maison Maureau-Desfond en 1921, à faible distance l'une de l'autre, épicerie,
boulangerie, boucherie. A cet égard, le côté est (devenu impair) de notre vieux chemin
n'était pas en reste, et les famille Dammet et Capian ( celle-ci au coin de la rue
Alphonse-Daudet) tinrent distinctement deux épiceries durant le premier quart du siècle
au moins.
Le peuplement croissant du quartier entraîna après la deuxième guerre l'ouverture de
l'école des filles et de la maternelle "Sixte-Isnard-l'Arrousaire". Les
derniers occupants ouest il y a presque un siècle étaient horticulteurs (comme la
famille Guillermin), cultivateurs, et même de l'autre côté il y avait un viticulteur.
Les petits garages de réparation automobile, n°15, n°85 (aujourd'hui fermés)
perpétuent pour ainsi dire le souvenir d'un maréchal-ferrant et d'un forgeron, du même
côté mais pas forcément à ces emplacements. A peu près simultanément apparurent le
fondeur Martin Urbe, recensé en 1911, les entreprises du chauffagiste Pierre Daillant (Louis
Daillant donne son nom à une courte avenue du quartier), de l'entrepreneur de
maçonnerie et travaux publics (la tour de pierre bâtie dans la cour du n° 48 vaut une
signature !) Joseph Biancone, venu, semble-t-il, des Abruzzes via la Maroc au début de la
première guerre mondiale, du fabricant de vêtements prêt à porter Valadier (n°66-68)
en activité vers 1955-1985. Aujourd'hui l'atelier de bonneterie Durand (n°13) maintient
ici la tradition du textile. |
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II
Robert Bailly a consacré dans "Avignon hors les murs" un
paragraphe au n°79, demeure invisible nichée dans un parc que protège une grille assez
ouvragée et qui aurait abrité en 1906 l'archevêque Mgr Sueur, soit
quelques mois avant sa démission, alors que la loi de séparation des Eglises et de
l'Etat expulsait le prélat de l'hôtel de Mons-Crochans, face à l'hôtel de ville. La
résidence de la rue du Collège de la Croix ne fut aménagée, semble-t-il, qu'en 1936.
Nous sommes ici à l'extrémité sud de l'avenue mais à proximité des remparts. l'on
peut regretter la disparition de la maison de l'érudit Joseph Girard
(c'était le n°7); Celui-ci (1881-1962), rchiviste-paléographe en 1903, fut durant 42
ans le conservateur du Musée Calvet et, bien sûr de la bibliothèque municipale
(1906-1949) ; il créa ainsi rue Joseph- Vernet les salles de ferronnerie, des primitifs
avignonnais, installa le musée lapidaire dans l' ancienne église des Jésuites rue de la
République. La retraite fit de lui le conservateur fort distingué du palais des papes.
Sa bibliographie comprend plus de 50 titres, certains essentiels comme "les Etats du
Comté venaissin... jusqu'à la fin du XVlème siècle", l'histoire du Musée Calvet,
le précieux guide "Evocation du vieil Avignon". Dans sa notice nécrologique,
Jacques de Font-Réaulx, mon prédécesseur aux Archives départementales, évoqua
"la vaste maison de ses beaux-parents, avec une large cour plantée de platanes, un
décor à souhait pour les trois garçons et les deux filles qui peuplèrent son
foyer". Parmi ceux-ci, René Girard, né en 1923 et tôt fixé comme
professeur aux Etats-Unis après sa sortie de l'Ecole des Chartes, est l'auteur-phare de
plusieurs ouvrages de psychologie et d'anthropologie très remarqués : "Des choses
cachées depuis la fondation du monde" (1978), "Je vois Satan tomber comme un
éclair" (1999) et, dernier en date "Celui par qui le scandale arrive"
(2001), pour n'en citer que trois, toujours consacrés à la violence et aux boucs
émissaires.
Perpendiculaire, la rue de la Pépinière (aujourd'hui numérotée à
partir de l'avenue Saint-Ruf, pairs au sud, impairs au nord), reliant l' Arrousaire à
l'avenue Saint-Ruf, rappelle tout autant la vocation végétale du quartier. Quelques
maisons remontent à la fin du XIXème siècle, certaines aux décors particulièrement
soignés, comme les n°17-19. Peut-être Siméon Texier, employé au P.L.M. qui laissa son
monogramme (S.T.) sur la maison n°22 où les soubassements des fenêtres ainsi que les
modillons en briques qui courent sous le chéneau, apportent quelque note de couleur,
était-ill'occupant recensé en 1936. Un peu plus loin vécut le peintre Alfred
Bergier (1881-1971), élève de Grivolas, animateur du groupe des Treize et
successeur de Jules Flour comme enseignant à l'école des Beaux-Arts ; ses paysages
aquarellés sont réputés et le musée Calvet en conserve quelques tableaux. Une
habitante de l'impasse des Pensées m'indique que ses grand-parents bâtisseurs ici d'une
villa en 1903, laissèrent à l'entrepreneur le choix de son nom, qui fut étendu à
l'impasse. Mais c'était anciennement le clos Saint-Michel et une haute bâtisse de pierre
attend peut-être encore de livrer le secret de ses occupants. |