I
«A tout seigneur tout honneur» : cette avenue, ancien
chemin de Monclar et même, à son extrémité sud, chemin de Barbentane au début du XIXe
siècle, constitue en effet le cadre des souvenirs d'enfance d'Henri Bosco (1888-1976), Antonin,
1952, Un oubli moins profond, 1961, Le Chemin de Monclar, 1962 et le Jardin
des Trinitaires, 1966. Émotions et impres- sions y sont délicatement exprimées,
mais outre la dis- crétion qui pouvait s'imposer à l'égard des noms de famille (le
pasteur Autrand est toutefois un personnage réel, âgé de 48 ans en 1896), la
reconstitution du quar- tier à l'aube du XXe s. à partir de ces souvenirs n'est pas
facile. Néanmoins, une certaine ambiance est recréée par l'écrivain : «le pont
ténébreux et retentis- sant du chemin de fer» ; «ce n'était que «villas» ran- gées
côte à côte avec soins par de petits rentiers et des retraités de l'État. ..», alors
que <des jolies maisons, les jardins fort agréables» du chemin des Violettes sont
mises en balance. Le chemin était bordé de platanes. Qui identifiera le mas familial du
Gage, à l'Ouest de Monclar, les quelques villas au parc mystérieux comme celle des
Tilleuls ?
Sur les cadastre et matrice de 1819-1820 (la section V d'alors
s'appelle St-Roch ou Champfleury ; à l'est commence celle de St-Ruf) ; le long de notre
«che- miro>, rien que des prés et des terres, appartenant à des propriétaires de
l'intra-muros ; seule émerge presque à la jonction de l'avenue et de celle de la
Violette (à hau- teur des impasses d'Alsace et Gambetta, l'ancienne ferme de la famille
Fra n'en serait-elle pas un vestige ?), la maison du boucher Honoré Yol (habitant
d'ailleurs rue du Sextier), accompagnée d'un jardin, d'un bosquet et d'une cour. Selon
Robert Bailly, Monclar est la grange de la famille Desmarets, sei- gneurs de
Monclar aux XVIIe-XVIIIe s., à 700m. environ des remparts.
La difficulté pour reconstituer la physionomie de l'avenue dans le passé tient à
plusieurs causes: avant 1900 environ, les voies de la banlieue ne portent pas de nom.
Ainsi en 1851, le recensement ne connaît qu'un vaste quartier de Champfleury où 49
maisons sont bâties; la numérotation alternée pair-impair des mai- sons ne fut
appliquée à la banlieue qu'après la premiè- re guerre mondiale; si les recenseurs
semblent habi- tuellement mener l'opération sur le côté gauche d 'une rue puis sur le
côté droit (ou vice versa), certains zig- zaguent d'un trottoir à l'autre; enfin
faut-il ajouter que de grands immeubles collectifs ont surgi à partir de 1950, faussant
la numérotation des maisons. Il faut au |
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II
moins citer ici <de Trianom>, «Le Saint-Pierre»,
«Les
Cèdres», <des Mélèzes», <da Marjolaine».
D'après les recensements de 1896, 1911, 1921, et 1936, les commerces d'alimentation y
était nombreux ; leur nombre doubla vers 1905-1910, passant d'environ 5 à 10 (avec une
récession probable dans l'immédiat après-guerre. La création de la paroisse de
Saint-Ruf date d'ailleurs de 1912). Au lieu du «perruquier» de 1896, quatre coiffeurs et
coiffeuses étaient apparus avant 1936.
En partant des voies ferrées, l'on constate que les bâtiments voisins, du côté pair
(ou ouest) abritent des familles ou des services du P.L.M., devenu la S.N.C.F. Deux
maisons très typées retiennent notre attention: le no8 bis, de style art déco, marqué
par une certaine asy métrie et quelques décrochements, ainsi que l'on caractérise l'
reuvre de Robert Mallet-Stevens, surtout actif à Paris et dans sa banlieue vers
1923-1936. Ayant franchi l'impasse Turin, la façade «macaroni», nolo, signalée
par quelques journalistes et historiens, nous fait remonter un quart de siècle plus tôt:
contemporain et émule des propagateurs du modem style en France Hector Guimard (le
«père» du décor des entrées du métro parisien notamment) et Jules Lavirotte ;
l'architecte avignonnais Ambroise Boch (né en 1868) conçut peu après 1900 cette maison
pour son propre usage, ne la quittant pour l'intra-muros (1930) que quelques années avant
sa disparition.
Aux abords de l'impasse des Abeilles comme des impasses Magali et Emest-Feuillet, de
belles maisons anciennes demeurent isolées de l'avenue à l'abri de leur petit parc.
L'une d'elles, la villa «Mireille» (nO33) a abrité l'illustre Edgar Zacharewicz (né
en 1858), arrivé à Avignon comme professeur d'agriculture à l'école normale
d'instituteurs (son Vaucluse agricole, 1898, est un manuel d'enseignement parmi la
soixantaine de ses ouvrages, dont la Carte agronomique des communes du département, 1896-1903)
et le premier directeur des services agricoles de Vaucluse. Le géographe Pierre George
évoque <d 'homme souriant et discret» qu'il continua à visiter jusqu'après la
première guerre mondiale, après avoir été attiré enfant par <des ombres
mystérieuses enveloppant sa grande maisom> et le salue comme «un des artisans de la
modernisation et de la commercialisation de l'agriculture» (reconstitution du vignoble
après la crise phylloxérique, recherche de marchés étrangers. |